Frédéric Bican est pasteur à l’Église de l’Action Biblique de Grasse. Il est également président de l’Action Biblique France. Il répond à nos questions sur le sujet du rôle de l'Église locale dans la mission transculturelle.
Bonjour Frédéric, pourrais-tu te présenter en quelques mots, ainsi que ton Église ?
Bien sûr. Je suis Frédéric Bican, pasteur de l'Église de Grasse dans les Alpes Maritimes depuis environ 25 ans. Je suis rentré progressivement dans le ministère après une crise dans l'Église. J'ai pris ma place, j'ai appris sur le tas et finalement j'ai fait la faculté de théologie d'Aix en Provence.
Je suis pasteur de l'Église où j'ai grandi. Je suis arrivé quand j'avais 4 ans et suis devenu pasteur vers l'âge de 32 ans. C'est une joie de servir le Seigneur là où il m'a fait grandir et de voir comment l'Église a évolué. J'ai donc une expérience dans une seule assemblée en tant que pasteur, ce qui est assez inédit.
Je suis marié à Régine qui est infirmière et nous avons deux enfants de 26 et 28 ans qui ont quitté le domicile depuis longtemps.
L'union d'Églises à laquelle j'appartiens s'appelle l'Action Biblique. À l'origine, ce n'était pas une union d'Églises, mais une œuvre missionnaire. C'est un missionnaire écossais, qui, au début du 20e siècle est venu s'installer en Suisse. Là, il a fini par construire le bâtiment qui est maintenant le cœur de là où se trouve l'Institut Biblique de Genève. Depuis cet endroit, il a formé chaque année des hommes et des femmes, et les a envoyés en mission. Il y a eu des centaines de missionnaires envoyés, et, dans 6 ou 7 pays, des Églises sont nées de ce travail, dont celles de notre union en France.
Nous nous intéressons au sujet de l'Église locale dans l'envoi de missionnaires. Pourrais-tu expliquer ce que cela veut dire pour toi ?
Une Église qui envoie, c'est une Église qui a conscience que, dans le Nouveau Testament, il y a une dynamique de propagation de l'Évangile qui consiste, une fois qu'une Église est mise en place, à rester dans un réseau relationnel avec le reste du corps de Christ, puisqu’on croit que l'Église ce n'est pas seulement l'Église locale. L'Église locale, c'est une manifestation visible de l'Église. Elle doit, tout en incarnant sur le plan local un petit morceau de cette Église universelle, garder conscience qu’elle fait partie d'un ensemble beaucoup plus vaste, qui fait partie de son ADN, de son identité profonde. Jésus, quand il donne la mission aux apôtres au début des Actes, dit qu’ils vont être Ses témoins jusqu'aux extrémités de la terre, en partant de l'endroit où ils sont, c'est à dire Jérusalem, en passant par la Judée et la Samarie. Et le rôle de l'Église, c'est justement d'avoir cette vision qui est à la fois orientée vers la propagation de l'Évangile là où elle se trouve, et puis progressivement, de plus en plus loin. Ça fait partie de notre identité, de notre foi profonde, et si on oublie ça, on oublie quelque chose d'important dans les commandements de Jésus et même dans la façon dont les apôtres voyaient l'Église au cours du premier siècle.
On trouve important de favoriser et d'encourager une vision missionnaire qui aille au-delà de nos intérêts immédiats et de notre territoire
Est-ce que cette vision de la mission existe dans ton Église depuis le début, ou a-t-elle progressé dans le temps ?
Comme dit plus tôt, l'Action Biblique était, à l'origine, une œuvre missionnaire. Pendant un temps donc, c'était vraiment dans son ADN d’être missionnaire et de proclamer l'Évangile. Puis il y a eu un virage d'organisation : on est passé d'une structure ‘société
missionnaire’ à une structure ‘union d'Églises’. Les Églises ont dû réfléchir à ce qu'est une Église locale, parce qu’il n’y avait pas d’ecclésiologie très précise ni très construite. Il a aussi fallu faire un travail de structuration administrative et juridique.
Il y a eu un temps où, tout en gardant le souvenir et le désir de soutenir des projets missionnaires, une grosse partie de l'énergie de l'Union est passée à nous restructurer nous-mêmes. Et ce temps est encore d'actualité. On continue de s'organiser et de réfléchir comment être pertinents dans la France d'aujourd'hui, mais on trouve important de favoriser et d'encourager une vision missionnaire qui aille au-delà de nos intérêts immédiats et de notre territoire. On peut dire que la France est probablement une des terres missionnaires les plus urgentes du monde, une des plus déchristianisées. On n'est plus dans la perspective du XVIIIème au XIXème siècle, où c'était nous les chrétiens, et on envoyait les missionnaires au reste du monde. Mais on veut rester dans cette chaîne missionnaire qui nous relie avec le reste du monde, et encourager dans nos Églises une culture de la mission. Ça fait partie des projets actuels de retrouver une vision missionnaire pour notre époque, en phase avec ce qu'est la France d'aujourd'hui.
En tant qu'Église, vous avez soutenu plusieurs missionnaires ?
Oui, on a soutenu plusieurs court-termes de l'Église qui sont partis plusieurs mois avec SIM ou d'autres œuvres missionnaires en fonction des opportunités, disponibilités et compétences de chacun. Plusieurs couples sont investis sur leur temps libre, sur leurs vacances ou sur des temps professionnels qu’ils prennent en congé sans solde. On a aussi un couple qu'on soutient depuis 5-6 ans qui est en Asie, même si le couple ne vit pas uniquement grâce à notre soutien. Quand ils viennent en France, on les accueille, on se réjouit des nouvelles qu'ils nous donnent, et on partage régulièrement des sujets de prière en rapport avec ce qu'ils font là-bas. On essaie d'habituer les gens de notre Église locale à avoir une culture de la mission qui voit au-delà de, par exemple, participer à un parrainage ou ce genre de chose, qui est très bien mais qui est une implication individuelle. En ceci on compte beaucoup sur le témoignage et l'implication d'un des couples dont je parlais. Ils sont des conseillers très utiles quand il y a des jeunes qui réfléchissent à des missions court terme ou à orienter leur vie professionnelle vers la mission. Avec leurs missions court et moyen terme, ils ont accumulé plusieurs années d'expérience et ont une bonne connaissance de ce que représente les œuvres missionnaires aujourd’hui.
Y a-t-il un impact positif sur l'Église de ce soutien à la mission ?
Oui. L'impact positif sur l'Église, c'est d'abord qu'on obéit à ce que demande la Parole de Dieu. Modestement, bien sûr, mais on répond quand même. On s'inscrit dans ce réseau de relations et de projet de proclamer l'Évangile jusqu'aux extrémités de la terre qu'a donné Jésus à son Église. Le deuxième, c'est que les gens sont encouragés et motivés. Quand on fait un appel à dons ou qu'on dit on va soutenir tel ou tel projet, c'est un élément moteur pour la libéralité dans l'Église. Bien sûr, il faut aussi payer l'électricité, l'eau et les charges de notre salle sur le plan local, mais se dire que les frères et les sœurs de l'Église participent à quelque chose qui proclame l'Évangile de façon proactive, au niveau national ou international, c'est très encourageant pour la foi personnelle et pour la libéralité. Et je pense que ça honore le Seigneur.
Au niveau de l'Union, est-ce que vous vivez la même chose ?
Au niveau de l'Union ce qu'on voudrait développer, c’est qu’une culture de la mission plus dynamique, plus intentionnelle et plus forte s'installe dans la génération actuelle qui arrive à l'âge adulte. Pour ça, nous organisons des petits projets court terme d’une semaine ou deux pendant les vacances, auxquels des jeunes peuvent participer. L'Union le recommande, l'encourage, mais ça repose en général plutôt sur la dynamique d'une Église qui l’a déjà mis en place pour elle, et qui fait bénéficier le reste de l'Union de cette organisation. Dans l'idéal, on aimerait que ça finisse par devenir une activité de l'Union elle-même qui soit force de proposition. Ceci étant, comme nous sommes congrégationnalistes, pour nous, tout doit finir par être enraciné dans une Église locale. On ne veut pas de missionnaires qui soient responsables d'eux-mêmes et sans référent. Et on veut qu’il y ait toujours une responsabilité de l'Église locale qui soutient un projet, qui envoie, qui prie. On essaie de trouver le bon équilibre entre trouver une culture au niveau de l'Union qui va être tirée en avant par des Églises leaders, et enraciner cette culture missionnaire dans chacune des assemblées.
Quels sont les obstacles à l'envoi des missionnaires auxquels vous faites face ?
Les obstacles sont d'ordre logistiques. Former un projet missionnaire, ça demande du temps, des gens et de l'argent. Bien sûr, c'est la grâce de Dieu, mais il faut qu'il y ait quelqu'un qui s'en préoccupe, qui coordonne. Ça ne peut pas être le travail du pasteur, qui est censé s'occuper de l'Église locale. Si en plus il doit gérer un projet missionnaire, il va finir par mal faire l'un des deux. Il y a des personnes que le Seigneur appelle pour ça, qui sont compétentes, qui ont un cœur pour la mission. Elles ne vont pas porter la charge toutes seules, mais elles vont mettre en place la vision, donner des nouvelles et proposer les projets. Deuxièmement, il faut trouver le temps, le temps pour ces personnes-là, mais aussi le temps pour l'Église d'intégrer dans son volume d'activité une vraie préoccupation missionnaire. Ce n’est pas évident dans une Église quand elle grandit, quand elle accueille du monde, donc il faut faire l'effort de trouver du temps parce que c'est important à nos yeux. C’est aussi le temps pour être à l'écoute de ceux qui pourraient être intéressés, avoir du discernement parmi notre jeunesse pour identifier ceux qui pourraient s’impliquer. Et le troisième nerf de la guerre, c'est l'argent, les ressources. Il faut que ce soit important de consacrer une part de ses dépenses à des projets missionnaires, soit à soutenir, à encourager des gens qui sont actuellement sur le champ missionnaire, soit à former des missionnaires, soit envoyer des missionnaires à travers des partenaires comme SIM ou d'autres œuvres missionnaires.
Et puis, pour nous, c'est important de trouver des partenaires qui vont gérer la mission tout en étant respectueux de nos orientations doctrinales et nos valeurs théologiques.
Mais voilà, les trois axes, c'est des personnes, du temps et de l'argent. C'est les trois obstacles et les trois défis qui sont lancés, à la fois à l'Église locale et à l'Union pour avoir une vision missionnelle et missionnaire qui soit renouvelée.
comme on s'apprête à mener un combat “en territoire hostile”, on ne peut pas envoyer quelqu'un sur le champ de bataille juste avec des tongs, un t-shirt et des lunettes de soleil, il faut l'équiper.
De ce que tu discernes, quels sont les défis auxquels font face ceux qui veulent partir en mission ?
Premièrement, il y a le temps de la réflexion et de la formation. Il va falloir aussi trouver les partenaires qui vont pouvoir accompagner, évaluer le projet et trouver une place pour la personne. Donc tout ça, ça prend du temps. Et ça veut dire que, entre-temps, il faut s'organiser, il faut se structurer. Il faut aussi être accompagné par des responsables d'Église qui prient, qui entourent et pas que la personne se débrouille seule avec ses ressources trouvées sur Internet au petit bonheur la chance. Et puis
après il y a la vie, la vie de la personne qui va s'orienter selon le plan de Dieu pour elle. Ils vont devoir attendre plusieurs mois ou plusieurs années avant de partir, en tout cas pour le moyen ou long terme. On ne devient pas missionnaire de façon pérenne du jour au lendemain. Il faut qu'il y ait un vrai cheminement parce que, comme on s'apprête à mener un combat “en territoire hostile”, on ne peut pas envoyer quelqu'un sur le champ de bataille juste avec des tongs, un t-shirt et des lunettes de soleil, il faut l'équiper.
Quelles sont les autres responsabilités que vous trouvez importantes pour une Église qui soutient et envoie des missionnaires ?
Motiver les gens de façon régulière et durable dans le temps pour la prière, ce n’est pas évident. Quand on est une Église instituée, on reçoit des lettres de nouvelles et on est sollicité par des œuvres chrétiennes de tous les côtés. Toutes ont une bonne raison de solliciter à la fois un soutien financier et des prières, donc il faut faire des choix. Une Église locale ne peut pas répondre à toutes les sollicitations, sinon elle ne va soutenir efficacement rien du tout. Quand on s'engage, il y a l'idée de durer dans le temps sans se lasser. Au début, un projet peut faire briller les yeux, mais dans le temps, il faut réfléchir à ce que l'Église ne se lasse pas et qu’on continue d'avoir des sujets de prière et un désir de soutenir financièrement de façon significative. Parce que sinon, on va soutenir ponctuellement, on va beaucoup prier et donner une belle somme d'argent, et puis, avec le temps, le prochain projet qui sera présenté va remplacer celui-ci et on se retrouvera seulement avec des projets ponctuels, sans engagement long terme. Après, on ne peut pas avoir un engagement long terme sur tout ce qui passe non plus. Dans ces cas-là on l’explique clairement aux personnes qui passent. On essaye d'être fidèle à long terme à la vision et aux engagements qu'on a pris.
Merci Frédéric
Cet entretien est la version intégrale de l'entretien paru dans le magazine S'IMMERGER N°30.
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